Marc-André Dalbavie appartient à cette génération de compositeurs qui, tels Philippe Hurel et Philippe Durville, ont développé leur langage personnel à partir des acquis de la musique spectrale élaborée par Gérard Grisey et Tristan Murail à la fin des années 70. Aussi sa musique, fortement axée sur le timbre, s'appuie sur la notion de « processus », technique permettant la transition d'un état donné à un autre au sein d'un continuum sonore clairement directionnel.
En fait, Marc-André Dalbavie utilise exclusivement des processus par « interpolations », qui consistent à transformer un objet A en un objet B, selon un nombre déterminé d'étapes. Mais un intérêt égal pour la polyphonie l'a assez vite conduit à travailler la superposition et l'articulation de ces différentes « interpolations » perçues comme des métamorphoses continues, et à générer la forme à partir de ces interactions. Il s'est ainsi orienté vers des principes compositionnels plus « dialectiques » que ne le permettaient a priori les présupposés du modèle spectral, si bien que sa musique apparaît aujourd'hui caractérisée par les contradictions inédites qu'elle agence entre objet sonore et processus transitoire, continuité et discontinuité, vitesse et statisme.
C'est avec Les Paradis mécaniques (1983) pour quatre bois, sextuor de cuivres et piano que Marc-André Dalbavie a pour la première fois intégré les procédés d'écriture spectrale (accords-timbres, interpolation, référence aux modèles électroacoustiques, usage des micro-intervalles...). Le répétitif chez Dalbavie provient sans aucun doute de l'usage qu'il fait ici de modèles temporels issus de l'électroacoustique : simulations de délai, d'écho, de ré-injection ou de réverbération infinie. Quant à la présence du piano solo, il montre que la fonction concertante est une véritable nécessité pour le langage du compositeur, non seulement dans cette pièce mais aussi dans celles qui suivront. Car ce rapport dualiste, en contradiction avec les fusions de timbre de la musique spectrale première manière, a incité le compositeur à faire d'une telle « opposition dialectique » le principe, désormais moteur, de son discours musical.
Laissant pour un temps l'approche dualiste, Marc-André Dalbavie s'attaque au problème de la forme avec Les Miroirs transparents (1985) pour orchestre. Diadèmes (1986) pour alto solo, ensemble instrumental et disposititif électronique, marque une étape. La structure harmonique mixte (emploi de synthétiseurs, traitement de l'alto en temps réel, amplification des violons) et l'usage d'un instrument soliste y nécessitaient une approche à nouveau concertante, donc dialectique, impliquant le dépassement du jeu monodique entre l'objet et le processus, à moins de fondre l'alto et les synthétiseurs dans la masse spectrale. Le compositeur a alors recours à la polyphonie, ou plutôt à la superposition et à la hiérarchisation de processus. Cette solution lui permet enfin, en opposant ou synchronisant les différentes couches sonores en présence, de construire un discours musical, « où s'affrontent des forces dynamiques contraires », fondé sur des grilles de perception de type attention-tension-saturation-détente beaucoup plus subtiles que dans les pièces précédentes. Aussi le jeu avec la mémoire s'en trouve complexifié et le temps musical mieux contrôlé.
Interludes (1987), suite pour violon solo, donne au compositeur l'occasion de développer une technique de découpage de processus grâce à la CAO (composition assistée par ordinateur). Outre la plus grande liberté formelle que lui a permis d'acquérir la réévaluation des modèles qu'il utilisait jusque-là, Marc-André Dalbavie s'est aussi rendu compte, avec Interludes, qu'un instrument mélodique chantant pouvait, au même titre qu'un accord-timbre, être perçu comme un objet sonore identifiable. Cette découverte est peut-être à l'origine du cycle vocal Logos qui comprend, à ce jour, Impressions-mouvements (1989), repris deux ans plus tard sous le titre Instances (1991), et Seuils (1991-1993), œuvre réalisée à l'Ircam.
Effectuée avec l'aide de l'auteur Guy Lelong, l'intégration de la voix et de la parole est à la base de Seuils : le bref texte servant de support à l'œuvre commente en effet le déroulement musical lui-même, allant presque jusqu'à paraphraser la musique. Mais Seuils se distingue dans la production générale du compositeur pour deux autres raisons. D'une part, l'œuvre témoigne, pour la première fois, d'un réel travail de fond sur le son électronique, entrepris avec l'assistance de Jan Vandenheede, et intégrant, en amont de l'écriture, des outils de synthèse, de traitement et de spatialisation du son. D'autre part, la technique d'interpolation a été généralisée à toutes les dimensions du discours, du local au global, de la plus petite articulation à la structure d'ensemble, si bien que le discours musical paraît procéder d'une dialectique entre l'objet sonore et le processus. Les notions de prégnance de l'objet sonore et de son degré de résistance au processus transitoire y rejoignent le thématisme, aboutissement de l'intégration par le compositeur des procédés expérimentés dans ses pièces précédentes. En outre, l'articulation des différents processus superposés laisse davantage la place au discontinu, si bien que la forme générale qui en résulte est plus morcelée qu'auparavant. « C'est quand je superpose des processus différents et que j'essaye de créer des relations polyphoniques entre eux que je ne respecte plus la simple linéarité du déroulement du son et m'autorise une plus grande liberté formelle. Cela entraîne des ruptures dans le discours, que l'auditeur perçoit comme un processus à plus grande échelle, un processus d'organisation. »
Seuils offre ainsi de nouvelles perspectives quant à l'intégration des matériaux les plus divers (voix, texte, espace, électronique) au sein d'un même procès, d'un unique et même flux. C'est d'ailleurs ce à quoi rêvent actuellement Guy Lelong et Marc-André Dalbavie qui, s'associant à Patrice Hamel pour la scène, travaillent d'ores et déjà à un projet de spectacle multimédia, qui parcourra successivement les genres « répertoriés » du théâtre, de l'opéra, du concert et du ballet, avec une mise en scène déployant un espace en constante transition.
Quant aux pièces de musique pure composées récemment par Marc-André Dalbavie – un Sextuor (1993) et un Concertino (1994) spécialement écrit pour les instruments du Freiburger Barock Orchester –, elles affinent les principes articulatoires, mis au point dans Seuils, entre rupture et continuité. L'aspect rythmique, notamment, est traité avec plus de souplesse encore. La dialectique du temps continu et de la rupture est désormais au centre des préoccupations du compositeur. Le titre de son récent sextuor le dit mieux qu'aucun commentaire : In advance of the broken time.
Anne Sédès (1993) - Guy Lelong (1995)
©
Ircam-Centre Pompidou
1995