Outre un saxophone ténor et l’électronique, votre pièce fait appel à la vidéo : pourquoi ?

Mes récentes collaborations avec le vidéaste croate Goran Nježić m’ont montré que mon approche du matériau musical est très plastique : par son organisation, elle s’apparente à celle d’un artiste visuel. Cela m’a encouragé à approfondir la vidéo comme outil qui s’entremêle à la musique dans l’articulation de la forme.
Ici, je m’intéresse au phénomène délicat et imprévisible du feedback, ou retour acoustique, généré par l’interaction d’un saxophone embarquant un microphone et d’un haut-parleur. Le feedback provoque en moi de fortes associations visuelles : j’y vois comme la pénétration d’une matière lumineuse dans une matière dense. Ce projet a donc été pensé comme une œuvre multimédia performative, née d’une collaboration étroite avec l’interprète, Joshua Hyde.

Comment en êtes-vous venu à explorer le phénomène du feedback ?

Après m’être intéressé aux (méta)possibilités des instruments acoustiques dans de nouveaux contextes performatifs, je me suis tourné vers d’autres manières de générer du son qui découleraient des propriétés structurelles des instruments eux-mêmes. Inspiré par la console « no-input », telle qu’utilisée par des artistes comme l’improvisateur japonais Toshimaru Nakamura ou le compositeur croato-allemand Marko Ciciliani, je me suis penché sur le feedback et la manière dont les propriétés physiques des différents matériaux (c’est- à-dire l’« architecture et l’espace ») des instruments à vent peuvent agir sur ce fragile phénomène. Ces idées ont été nourries par les travaux de Gordon Matta-Clark, et par le concept du « corps-sans-organe » développé par Artaud, puis Deleuze et Guattari. Utilisé comme chambre de résonance, le saxophone est recontextualisé en tant qu’espace modulaire d’un dispositif de feedback. D’un certain point de vue, l’instrumentiste traite le système instrument/haut- parleur comme un être vivant, engageant avec lui un dialogue constant.