Luca Francesconi (1956)

Mirrors (1993)

third string quartet

  • General information
    • Composition date: 1993
    • Duration: 22 mn
    • Publisher: Ricordi, Milan
    • Commission: Festival Antwerpen 1993 pour le Quatuor Arditti
    • Dedication: à André Hebbelinck et au Quatuor Arditti
Detailed formation
  • violin, second violin, viola, cello

Premiere information

  • Date: 7 November 1993
    Location:

    Belgique, Desingle, Festival Antwerpen 1993


    Performers:

    le Quatuor Arditti.

Observations

Écouter l'enregistrement du concert du 29 avril 1994 au Centre Georges Pompidou : https://medias.ircam.fr/x3184a0_mirrors-luca-francesconi

Program note

Cette œuvre concentre ses efforts sur quelques éléments fondamentaux qui deviennent le noyau principal de mon attitude compositionnelle.

Partant de la vieille avant-garde, je me concentre sur la réduction de cellules musicales utilisées dans les compositions : rythmes, notes, intervalles.

Moins d'entropie, plus de concentration et d'économie. Puis, en conséquence, recherche d'un plus haut degré de transparence des idées et processus musicaux. Enfin, investigation et reconstruction d'un sens renouvelé de la perception et de la densité d'informations.

Tout cela pour rendre l'« expérimentalisme » de notre vieux siècle mourant expressif et fructueux. Une des plus fascinantes recherches que nous ayons faites, et que nous faisons, est celle qui concerne le temps.

Pour envisager en effet, au sein d'un univers perceptible, l'hypothèse que le Temps n'est pas seulement un, à savoir la « flèche » de la pensée occidentale traditionnelle.

Je suis intéressé par l'idée qu'il y a coexistence des lignes de force, de l'énergie de la matière musicale, qui marchent dans différentes directions, souvent opposées ou inversées – mirrors [miroirs] –, et qui parfois n'avancent aucunement.

Il y a quelques années, Borges écrivait : « Un réseau croissant et vertigineux de temps divergents, convergents et parallèles. Cette trame de temps qui s'approchent, bifurquent, se coupent ou s'ignorent pendant des siècles, embrasse toutes les possibilités. Nous n'existons pas dans la majorité de ces temps ; dans quelques-uns vous existez et moi pas ; dans d'autres, moi, et pas vous ; dans d'autres, tous les deux. Dans celui-ci, que m'accorde un hasard favorable, vous êtes arrivé chez moi ; dans un autre, en traversant le jardin, vous m'avez trouvé mort ; dans un autre, je dis ces mêmes paroles, mais je suis une erreur, un fantôme. »

Luca Francesconi.

Intelligibilité et transparence. Profondeur et énergie. Densités et cheminements. Sans vouloir réduire l'œuvre de Luca Francesconi à quelques terminologies diachroniques, les processus de transformation de l'idée musicale, les résonances sans fin dérivées des théories mathématiques de McCulloch et Pitts, les modèles de l'induction et de la déduction au sein des structures internes de l'œuvre, lieu d'une énergie mémorielle, ou plutôt d'une émergence de la mémoire, trouvent ici l'instrumental d'une expérimentation expressive.

Et le tissu restreint de figures hautement différenciées s'inscrit dans le temps sinueux et labyrinthique proposé par Borges, dans les multiples du cheminement : gel d'une harmonie ou d'un son pur, glissando structurant d'un solo de violoncelle, contrepoint d'archets jetés sur la corde, polarités rythmiques discordantes, galbes et « ondes sonantes », pour paraphraser le titre d'une de ses œuvres, densité d'une micropolyphonie, chant suspendu d'harmonies enrichies, homorythmies lentement déphasées, martèlements expressifs d'un pesantissimo sur lequel s'achève l'œuvre, symbole d'une énergie et d'une médiation de l'intelligible du geste et de la critique réflexive, de la transparence et de la densité, ou de la profondeur.

Laurent Feneyrou.

Il semblait désormais impossible de raconter, comme si nous devions être privés d'une faculté qui semblait inaliénable, la plus certaine d'entre toutes : la capacité d'échanger des expériences.

Notre génération n'est pas d'accord. Ou plutôt, l'Histoire avance et produit une nouvelle impulsion vitale qui rend indispensable, comme l'air que l'on respire, l'invention d'un fil narratif, la recomposition d'une unité intérieure qui rende à nouveau possible le dialogue avec les autres. Et c'est une histoire très profonde que celle qu'il nous faudra raconter [...].

Cette « trame », ce fil rouge, est donc aujourd'hui de la plus grande importance, entendu comme transparence, clarté formelle, capacité de contrôler et de communiquer une pensée musicale, équilibre entre l'énergie et son résultat.

Il y a cependant une condition incontournable pour parvenir à tracer cette ligne pure dans l'espace : la capacité à élaborer un langage suffisamment articulé et profond pour interpréter une réalité complexe. Sans quoi nous n'aurions même pas les mots pour raconter.