<p><em>Jean-Pierre Luminet (1951) est un astrophysicien, conférencier, écrivain et poète français, spécialiste de réputation mondiale des trous noirs et de la cosmologie. Il est directeur de recherches au CNRS, membre du Laboratoire Univers et Théories (LUTH) del’observatoire de Paris-Meudon.</em> </p><p>Le ciel est un espace de bruit, de rythme et de violence.</p><p>Les grands nuages moléculaires se fissurent pour accoucher de nouveaux astres, les étoiles usées d'avoir trop brillé explosent en supernovae, les pulsars craquent et cliquètent en tournoyant, les galaxies font gicler leur gaz en immenses jets de millions d'années-lumière. Les astres ont un destin façonné par la lutte entre la gravitation et la lumière. Dans cinq milliards d'années, le Soleil aura épuisé ses réserves d'hydrogène alimentant le feu thermonucléaire qui brûle en son centre. Il se dilatera en une étoile géante rouge qui calcinera les planètes, puis se ratatinera sur lui-même en une petite étoile mourante appelée naine blanche.</p><p>Les étoiles plus massives que le Soleil connaissent une fin plus spectaculaire. Elles explosent dans une cataclysmique explosion de supernovae ; leur enveloppe est soufflée dans l'espace à des vitesses de plusieurs milliers de kilomètres par seconde, tandis que leur cœur s'effondre sur lui-même pour former des résidus fantastiquement concentrés, tournant sur eux-mêmes à une vitesse folle : des<br />étoiles à neutrons, qui se révèlent aux astronomes sous forme de pulsars en émettant de brèves impulsions périodiques dans le domaine radio. Parfois même, les étoiles effondrées peuvent engendrer des trous noirs, dont même la lumière ne peut plus sortir.</p><p>Les pulsations électromagnétiques d'un pulsar reçues par un radiotélescope tel celui de Nançay peuvent être transformées en signaux sonores ; il s'agit là d'une opération de décodage simple, exempte de manipulations de studio. L'auditeur perçoit alors le rythme brut<br />d'un pulsar qui a mis plusieurs milliers d'années pour parvenir sur Terre. L'expression « son des pulsars » est bien entendu métaphorique. Les ondes acoustiques ne se propagent pas dans le quasi-vide interstellaire. En revanche, les ondes électromagnétiques<br />— lumière visible ou invisible à nos yeux — nous parviennent des astres les plus lointains et jouent le rôle du son. Le chant du ciel est un chant de lumière. Les astronomes ont des oreilles géantes pour écouter le ciel et enregistrer son cri. Ils ont construit des télescopes<br />pour capturer la lumière visible ; puis ils ont inventé des radiotélescopes, ils ont lancé en orbite au-dessus de l'atmosphère des détecteurs de rayonnement X, gamma et infrarouge. Si l'œil humain ne perçoit que deux octaves de rayonnement électromagnétique, les instruments modernes en détectent cinquante-deux. Le magnétophone de l'astronome embrasse donc aujourd'hui tout le spectre. C'est comme si l'on pouvait écouter tous les sons de la planète : un arbre qui craque dans la forêt de Sibérie, un robinet qui fuit dans un<br />appartement de San-Francisco ou une sagaie qui siffle dans une vallée de la Nouvelle-Guinée.</p><p>La musique de Grisey est bien à l'image des astres : tour à tour rythmique, violente, lancinante, hoquetante, incessamment recommencée. Elle est le reflet parfait de l'astronomie moderne qui a dévoilé la fureur cosmique et renvoyé la fragile harmonie des sphères de Pythagore et de Kepler dans la cohorte des illusions d'une humanité innocente et ignorante. <br /></p><p>L'univers n'est pas nécessairement confortable, la musique d'aujourd'hui non plus. Mais ce sont notre univers, notre musique. Il faut savoir les reconnaître, comprendre leur structure, puis oublier toute analyse, toute dissection, et ne plus laisser fonctionner que la<br />peau, les nerfs, le cœur, les serviteurs physiques. Car l'être est dans ce lieu mystérieux — minuscule mais ô combien important — où se niche la sensibilité... Une nouvelle harmonie est enfouie dans cette trépidation des sons et des rythmes, dans cette incessante fécondation<br />des étoiles par les étoiles, des sons par les sons.</p>
Agora 2008