1. Anaphora
Chaque jour, si cérémonieusementcommence, avec les oiseaux, avec les cloches,avec les sifflets d'une usine ;si blancs si dorés les cieux que nos yeuxtout d'abord découvrent, si brillants les mursqu'un instant, nous nous interrogeons«D'où vient cette musique, cette énergie ?Cette journée c'était pour quelle ineffablecréature que nous avons manquée ?»Oh bien vite il apparaît et revêt sa nature terrestretout de suite, tout de suite tombevictime de longues intrigues,revêtant la mémoire et cette mortellemortelle fatigue
Plus lentement tombant sous les yeuxet faisant pleuvoir sur les visages en pointilléobscurcissant, condensant toute sa lumière ;en dépit de tout le rêverépandu sur lui avec ce regard,il subit nos us et abus,sombre dans la dérive des corps,sombre dans la dérive des classesjusqu'au soir jusqu'au mendiant dans le parcqui, fatigué, sans lampe ni livreprépare d'extraordinaires études :le fiévreux événementde chaque jour dans un infiniinfini accord
2. Discussion
Des jours qui ne peuvent vous rapprocherou ne le veulent,la Distance essayant d'apparaîtredavantage qu'obstinéediscutent discutent discutent avec moisans finsans prouver que vous êtes moins désiré ou moins cher.La Distance : Rappelez-vous toute cette terresous l'avion ;ce rivagede pâles plages au sable profondqui s'étendent toutes semblablesjusqu'au bout, jusqu'au bout,là ou ma raison cesse ?
Les jours : Et pensezà tous ces instruments amoncelésun par faitdont l'expérience mutuelle s'annulecomme ils ressemblaient à un hideux calendrier«Avec les Compliments de Jamais, Toujours et Cie».Le son intimidantde ces voixqu'il nous faut trouver séparémentpourra être et sera vaincu :Les Jours et la Distance en déroute à nouveauet partispour de bon et loin du tendre champ de bataille.
3. La maubèche
Le grondement à ses côtés elle le connaît bien,et que régulièrement le monde doit trembler.Elle court, elle court vers le Sud, délicatement, maladroitement,dans un état de panique contrôlée, telle un disciple de Blake.
La plage grésille comme la graisse. A gauche, une napped'eau l'interrompt, qui va et vientet luit sur ses pieds sombres et fragiles.Elle court, elle court la traversant, contemplant ses orteils.
- Contemplant, plutôt, les espaces sablonneux qui les séparent,où (aucun détail trop minime) I'Atlantique s'écoulerapidement en arrière et vers le bas. Dans sa course,elle fixe les grains qui sont entraînés.
Le monde est une brume. Puis le monde estminuscule et vaste et clair. La maréemonte ou baisse. Elle ne saurait le direSon bec est pointé ; elle est préoccupée,
cherchant quelque chose, quelque chose, quelque chosePauvre oiseau, il est obsédé !Les millions de grains sont noirs, blancs, bronze et gris,mêlés de grains de quartz, rose et améthyste.
4. Insomnie
La lune sur le miroir du bureauregarde à des millions de kilomètres(et peut-être orgueilleusement, elle-même,mais jamais, jamais elle ne sourit)au loin et au-delà du sommeil, oupeut-être dort-elle pendant le jour.
Au bord de l'Univers désert,elle l'enverrait sûrement promener,et elle trouverait une étendue d'eau,ou un miroir, où s'attarder.Alors enveloppez vos soucis dans une toile d'araignéeet jetez-les au fond du puits
dans ce monde inverséoù la gauche est toujours à droiteoù les ombres sont en réalité le corpsoù nous restons éveillés toute la nuit,où les cieux sont creux comme la merest profonde, et comme vous m'aimez.
5. Vue du Capitole depuis la Bibliothèque du Congrès
Dans ce mouvement vers la gauche, la lumièreest lourde sur le Dôme, et épaisse.Une petite lunette le pousse de côtéet regarde dans le vide à côtécomme un gros vieux cheval blanc aux yeux murés.A l'Est sur les marches la Fanfare de l'Armée de l'Airen uniformes bleus de l'Armée de l'Airjoue dur et fort, mais étrangela musique ne parvient pas tout à fait.
Elle arrive par bribes, floue puis aiguë,puis sourde, et pourtant il n'y a pas de brise.Les arbres géants se dressent à mi-chemin.Je pense que les arbres doivent intervenir,
attrapant la musique dans leurs feuillescomme de la poussière d'or, jusqu'à ce que chaque grosse feuille s'effondre.Sans cesse les petits drapeauxnourrissent leurs raies molles dans l'air,et les efforts de l'orchestre s'arrêtent là.
De grandes ombres, basculent,donnant de la place à la musique.Les cuivres réunis veulent s'en aller boum-boum.
6. Ô souffle
Sous ce sein aimé et célébré, silencieux,plein d'ennui vraiment, aveuglément veiné,souffre, peut-être vit et laissevivre, fait des paris,quelque chose qui se meut bien qu'invisible,et avec quelle clameur pourquoi étoufféeje ne puis faire naître la plus petite onde.(Vois le vol mince de neuf poils noirsquatre autour du mamelon gauche, cinq autour du droit,qui volètent presque intolérablement sur ton souffle).Equivoque, mais ce que nous avons en commun doit bien être làquels que soient ces équivalents que nous devons bien posséder,quelque chose qui me permettrait peut-être de marchanderet de conclure une paix séparée en dessousà l'intérieur à défaut d'avec.
«The Complete Poems», 1945, 1947, 1951, 1962