Brice Pauset (1965)

Deux chaconnes (1991)

pour alto solo

  • Informations générales
    • Date de composition : 1991
    • Durée : 9 mn
    • Éditeur : Lemoine
    • Dédicace : A Emmanuel Haratyk
  • Genre
    • Musique soliste (sauf voix) [Alto]
Effectif détaillé
  • 1 alto

Information sur la création

  • Date : 23 janvier 1992
    Lieu :

    Maison de Radio-france, studio 106, Paris


    Interprètes :

    Emmanuel Haratyk

Note de programme

Les deux chaconnes proposent une lecture très différente, voire antagoniste, d’un matériau identique. La première, brutale, extrêmement conflictuelle et presque grimaçante, utilise de larges silences, à forte charge fonctionnelle et émotionnelle, porteurs d’ambiguïté quant à la relation de la perception et du discours réel. L’œuvre est dédiée à Emmanuel Haratyk qui en a assuré la première audition.

Le but original était de construire deux chaconnes, ou plutôt une double chaconne, l'une en tant que variation d'un matériau discursif extrêmement directif, l'autre en tant qu'évolution circulaire de figures clairement définies, susceptibles d'échanger certains de leurs critères spécifiques. On pourrait à vrai dire parler de « modulation gestuelle », dans le même sens que le fameux modulation en anneaux.

J'ai tenté ici de donner au silence une valeur fonctionnelle forte, assurant un mirage de la perception et du discours. Au début de la chaconne, une mesure à trois temps, alerte et incisive, préliminaire, est suivie d'un silence plus de deux fois plus long.

1) Nous entendons encore résonner la mesure précédente pendant le silence. Ce dernier fonctionne comme mise en mémoire du fragment précédent. Au bout d'un certain temps de silence, l'image auditive s'estompe et ne laisse affleurer que l'élément saillant que constitue le pizzicato : la fossilisation opérée par le silence agit aussi comme filtre.

2) Le silence, par sa durée, va nous préparer (par questionnement) à la suite du discours : l'équilibre entre les différents éléments de la mesure 1 et 3 sera beaucoup plus aigu grâce à ce silence : il a donc un rôle discriminateur vis-à-vis des éléments figurels en jeu.

a) Soit le pizzicato de la mesure 1 qui va être répété dans la mesure 3, sera intégré au discours et deviendra par le fait une « séquence attestée » : pizzicato silence pizzicato ;

b) soit le pizzicato ne sera pas répété par la suite et acquerra une valeur signalétique particulière, distinctive.

C'est cette proposition b qui va servir de point de départ, de principe même à l'œuvre.

La première partie (Tempo I) de la chaconne — qui a valeur de modèle — n'utilise qu'un seul silence, ce qui lui confère sa valeur emblématique.

Cinq éléments particuliers sont exposés au sein d'une structure de hauteurs fluctuantes, furtives, ne polarisant que peu la perception d'événements remarquables : pizzicato (mesure1), glissando (mesure 5), accord répété (mesure 8), figure ornementale (mesure 11), tenue crescendo + accord sec (mesure13).

C'est grâce aux silences que ces éléments principaux vont évoluer et se recomposer : chaque silence déclenche un changement d'élément.

On est donc bien en présence d'une double chaconne dans la mesure où cette stratégie gestuelle du silence s'accomplit à partir d'un matériau rythmique / mélodique d'une chaconne de « fond », dirais-je, possédant sa propre autonomie structurelle, d'où le « mirage » que j'évoquais plus haut.

Brice Pauset.