- Informations générales
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Date de composition :
1983
- Durée : 1 h 8 mn
- Éditeur : Inédit
- Opus : 79
- Commande : Ircam-Centre Pompidou
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Date de composition :
1983
- Genre
- Musique électronique / sur support / instruments mécaniques [Musique électronique / sur support / instruments mécaniques]
Information sur la création
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Date :
29 mars 1984
Lieu :Paris, Ircam, Espace de projection.
Information sur l'électronique
Information sur le studio : réalisée à l'Ircam
RIM (réalisateur(s) en informatique musicale) :
Marc Battier,
Emmanuel Favreau
Dispositif électronique : sons fixés sur support
Titres des parties
- Douze aéroformes de timbre, de mouvement, de contour, de fusion
- Faim, peur, amour
- Aurora
Note de programme
S’il est un projet, jusqu’à son titre même, qui me fasse horizon, qui reste même après le travail toujours loin devant moi, c’est bien celui-ci. Aéroformes, jusqu’à son titre même, composition — déjà, dont le sens nouveau « s’échauffe » des radiations conjuguées de deux termes connus — celui d’aérodynamique : qui étudie la relation entre le mouvement et l’air, — et celui plus instrumental d’aérographe appareil servant à projeter par pression d’air, des couleurs liquides.
On sait comment l’aérodynamique est devenue, d’une science spécialisée (hélice, aile d’avion), un fait familier (carrosserie d’auto, de moto, de voilier…), et même, hors de son cadre lié à la vitesse, capable d’inspirer le galbe de réfrigérateurs, de canapés, de stylos…
On sait — peut être moins — que l’aérographe a accru, révolutionné peut-être l’art du peintre, trouvant ainsi l’un des outils intermédiaires entre la production manuelle et celle — automatique — de la photographie où le fondu des contours et des lumières, le papillotement de l’émulsion, n’étaient « rendus » que par le pointillisme sur-intentionné d’une certaine école. Mais au dedans de ces questions de formes, de contours, de contraintes, de vitesses, de forces, de gradiences, dont on sentira déjà la correspondance musicale, se tient le noyau d’une autre question, plus générale. Celle que désigne le terme même de phénomène : ce qui apparaît.
Il m’apparaît à moi qu’il y a deux « phénoménologies ». L’une physique, extérieure et ne dépendant pas de nous, selon laquelle les lois de l’espace des forces font « qu’apparaissent » des formes. L’autre psychique, dépendant de notre conscience — et qui permettra d’en situer les déterminations ou propriétés — fonctionne à partir de répliques ou modèles internes, images, inductions ou constructions mentales rêvées, élaborées à partir d’interprétations sensorielles.
Et j’en viens à mon propre travail, toujours bien loin devant moi à l’horizon, pour le situer dans le champ énoncé ainsi, comme élaboration de formes fugitives, mais précises, si précisément audibles qu’on pourra alors s’interroger sur la nature de leur réalité.
Que peut-on croire sans voir, et que peut-on aimer, qui ne soit donné que comme musique de pure écoute, de purs « objets de perception, de souvenances ».
Mais après tout qui — et surtout sait — ce qui se passe à l’intérieur d’un piano ou d’un orgue, dans les entrailles d’un violon, ou le grand ventre d’un orchestre : une production d’Aéroformes aussi, mais au présent. Tandis que je me propose de vous en présenter l’autre mode, l’imparfait. (Il était une fois…).
Le monde que nous avons connu, tout d’abord comme enfant, nous a déjà joué ce tour : de changer de forme, de taille, d’importance. De fait ces changements c’est à nous qu’ils sont arrivés. Tous les jours nous vivons l’illusion (victorieuse) de la continuité, puis la vérification (surprenante ou pénible), de la discontinuité, des différences de point de vue, des erreurs d’appréciation, d’échelle…
Aléas de la mémoire…
Peut-être à cela s’attache notre curiosité attirée vers ces formes flottantes et projectives, les vols d’oiseaux, les nuages, les reflets lumineux, autant liés à l’espace qu’au temps, et qui en échappant au pouvoir des mots, disposent de l’implicite netteté de la poésie. De telles Aéroformes sont apparues, en musique, aussi insaisissables, et donc intéressantes à approcher.
A la lettre j’entends par Aéroformes des images audibles qui se produisent dans l’air, naissent et se développent, invisibles et mobiles mais précises et comme touchées par l’ouïe, qui en suit les contours, les mouvements et les combinaisons, aussi bien que l’oeil le ferait de jeux de lumières ou d’eaux.(Rêveries musicales - faut-il le remarquer - abordées déjà…)
Les Aéroformes sont donc des simulacres poussés d’objets-mouvements. Elles développent leurs deux natures :
- celle de formes, objets extérieurs, indépendants de nous,
- celle d’empreintes, objets psychiques, formes identifiées dans le réel mais valorisées.
Je lie ces natures d’images à la notion d’image mentale révélatrice de formes-sources, latentes dans la psyché. Noyaux d’instabilité, ces « demandes » prennent corps comme « répliques » du réel pour se satisfaire ou au contraire s’affirmer, se constituer, s’accroître. C’est en cela que l’écoute est ouverte, I’expérience de chacun différente. L’identité des formes-sources, liées à notre « histoire » produisant une attention locale et individuelle (orientant chaque être vers son « destin »… ?)
La « musique » que je propose aborde-t-elle, désigne-t-elle, de façon utile ces domaines ? Du moins je l’ai tenté. En m’y prenant de la façon suivante.
Tout d’abord en effectuant un programme de « tournages » indépendant de tout scénario — mais appliqué à me fournir de nombreux cas de figure d’objets-mouvements, d’images-empreintes, d’objets-couleurs, d’images-concepts. Toutes ces prises effectuées en tétraphonie — cinemascope sonore. Ainsi, comme objets-mouvements : une petite bille dans un bol d’airain, bondissante, tournoyée, finement retentissante, etc. Des bouteilles de plastique nervure, frôlées, frottées, percutées, itérées, en rebonds, etc.Des lamelles de métal d’un zanzi, ou de bois d’une petite crécelle, mélangées, etc.
- … tout ceci enregistré en chambre sourde afin d’augmenter la séparation des quatre angles de prise de son, et d’obtenir un contour des mouvements accru. Comme images-empreintes, celle d’un immense cri, celle d’une foule bruyante avec groupes divers de musiciens de rue, telle que l’ambiance de la Piazza Beaubourg une après-midi d’été en donne la matière. Mais aussi par contraste, celle d’un pas dans une salle vide, celle d’objets roulants par terre, de bruits complexes et confus, de type « dirty sound ».
Les couleurs furent l’objet d’une élaboration en un second temps, en studio, à partir des mouvements ou empreintes précédentes, doublées, harmonisées en mouvements parallèles, - tout cela toujours en tétraphonie - à travers divers modules (Buchla, DHM, 4X, etc.).
Les images-concepts ou figures ont été obtenues en 4 pistes — avec les processeurs 4A et 4X — comme « sculptées dans la masse » à partir de trames par paquets glissants, phasés, déphasés… multiplication de fragments arrachés au matériel mouvements ou empreintes, segmentation en pluies ralenties, division, recoagulation. On les entendra très nettement, ces figures, tout à fait typiques de l’instrumentarium Ircam, et dont il résulte un effet de localisation, de mouvement géométrique, et aussi une excitation d’écoute, qui m’ont vivement provoqué.
Animées, dessinées, façonnées de mes mains, ces formes d’abord rudimentaires, surchargées, ont été progressivement nettoyées, simplifiées, triées, orientées vers chacune des trois parties du projet.
La première partie se présente comme série d’études - ou d’attitudes dans lesquelles l’humain apparaît peu à peu.
Les Douze Aéroformes, au reste rapidement difficiles à dénombrer, se succèdent selon des oppositions variées :
timbre/contour
timbre/espace/mouvement
contour/fusion
contour/mouvement
fusion/contour
fusion/mouvement
espace/mouvement/timbre
contour/fusion
mouvement/timbre
contour/espace
image/mouvement/ timbre/espace/contour/fusion
timbre/fusionet retour à 1. timbre/contour
Après une pause viennent les 2e et 3e section. Faim, Peur, Amour, — de plus en plus d’humain pourrait-on dire. Cette partie évoque en ces termes les trois archétypes fondamentaux selon lesquels s’organise la pulsion vitale. De plus, quelques mots prononcés par ma voix démultipliée, lancent d’autres « sons-sens ».
Je rends hommage, par ces références, aux deux auteurs que je cite plus loin, et veux évoquer la préoccupation qui les anime et m’agite aussi, de tenter de définir, sans les réduire, les formes à l’œuvre…
…petite pause
Une très courte dernière partie, Aurora, dont les couleurs déjà apparues mélangées seront ici exposées pures… L’humain se retire peu à peu, sauf en l’essentiel peut être, le léger tremblé des lignes, de la nuance quasi vocale, trouvée (comment ?).
Alors, on peut revenir aux rêveries, pour finir là-dessus.
Relevant de l’expérience la plus générale, situons quelques « Aéroformes » archetypiques :
Tout d’abord la respiration. Ce mouvement simple, inconscient, léger, animé, facilement troublé, suspendu, haletant, puis stoppé et à nouveau large, profond, paisible. (Je viens d’ailleurs, là-même, de décrire la suite des (tempi de cette œuvre…).
Liée à la respiration, la perception des odeurs - déjà plus chargée de signifiance. Forme des odeurs, forme des mouvements de l’air, messages de fumée des indiens, et très quotidiennement, expressions du fumeur de cigarette, examen rêveur ou attentif des nuages…
J’y vois une tendance latente à ce qu’on pourrait appeler une « aéromancie » : prédiction des pièges de l’espace, de sa trompeuse transparence, des formes qui modifient, traversent, son illusoire homogénéité, désignant des points singuliers où doit se porter l’attention : foyer d’incendie, (flammes : aéroforme typique), main ou corps qui s’agite. Signifie. Proie. Danger. Piste sexuelle…
Ce serait me parer du savoir d’autrui que de ne pas faire référence ici à René Thom. Et dans ses récentes « Paraboles », ceci : « le fait que certaines catastrophes ne parviennent pas à être nommées provoque une grande fascination. Ceci clarifie les mécanismes qui sont à l’origine du Iangage… »
Ainsi qu’à Yves Bonnefoy, cela :
…y a-t-il un concept d’un pas venant dans la nuit d’un cri de l’éboulement d’une pierre dans des broussailles…»
…Poésie et mathématique ont toujours convenablement environné la musique…
En définitive…
Par l’acousmatique je me suis rendu compte de ceci : Ce n’est pas tant l’inouï qui m’intéresse que plutôt l’insu. Je m’explique. Si l’on ne compte que sur cet effet, l’inouï d’espèce électroacoustique me semble être une pacotille, un exotisme, bien inférieur assurément aux gamelangs et effets de percussions qui en leur temps ont revitalisé les musiques contemporaines avant d’en devenir leurs lieux communs. Tout autrement riche, en revanche se trouve révélée la marge flottante de notre conscience par ce fait radicalement imprévu : la possibilité de percevoir, de produire et d’interpréter des images-de-son.
Projetées, les images-de-son nous rappellent des situations de vie entrevues déjà mais, du fait de leur nature d’image, nous les présentent sous un jour vierge, dans une écriture neuve : une écriture d’image. Ainsi les sonorités de l’expérience quotidienne, chocs, frottements, tournoiements, rebonds, échos, distances, brillances, rapports de grains et d’échelles, etc, habituellement censurées et limitées au rôle d’indice, deviennent-elles, en projection acousmatique, pures abstractions, objets d’écoute, valeurs de vitesse et d’espace, de couleurs et de contours, d’harmonie et de bruit. Le vieux monde nous offre de nouvelles relations avec lui. Et les propriétés de vigilance de notre psychisme, évoquées par les images, se libèrent, ouvrent une caverne d’Ali-Baba, pleine de pulsions jaillissantes, de forces imaginantes, prisonnières d’archétypes. Je crois légitime de considérer qu’il relève du domaine de l’art musical de libérer de telles formes-sources et d’en éprouver, d’en organiser les propriétés.
Il me semble (quant à moi) qu’il n’y ait rien de mieux à faire en ce tournant du XXe siècle pour s’apprendre à affronter l’explosion de la marmite !
Vivre dans un monde multiracial, polythéiste et turbulent. Sous-développé et sur-équipé. Océanique et technologique. Musical et trivial.
François Bayle
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