Klaus Huber (1924-2017)
Lamentationes de fine vicesimi saeculi (1992 -1994)
pour orchestre en quatre groupes et chanteur soufi ad libitum
[Plaintes sur la fin du vingtième Siècle]
œuvre électronique
- Informations générales
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Date de composition :
1992 - 1994
- Durée : 19 mn
- Éditeur : Ricordi, nº Sy. 3176
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Date de composition :
1992 - 1994
- Genre
- Musique concertante [2 cordes et ensemble/orchestre]
- solistes : 2 violoncelles, autre type de voix d'homme solo [chanteur soufi, ad lib.]
- 3 flûtes (aussi 1 flûte piccolo, 1 flûte alto), 3 hautbois (aussi 1 hautbois d'amour, 1 cor anglais), 2 clarinettes, clarinette basse (aussi cor de basset), 3 bassons (aussi 1 contrebasson), 3 cors, 3 trompettes, 3 trombones, trombone contrebasse, tuba (aussi tuba contrebasse), timbales, 3 percussionnistes, 14 violons, 12 violons II, 10 altos, 8 violoncelles, 6 contrebasses [toutes amplifiées]
Information sur la création
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Date :
15 décembre 1994
Lieu :Allemagne, Freiburg.
Information sur l'électronique
Dispositif électronique : autre dispositif électronique (haut-parleurs)
Note de programme
Les Plaintes sur la fin du vingtieme siècle sont devenues superflues quand on est conscient du fait que, rien que par des campagnes médiatiques planétaires, on peut gagner des guerres et des élections sur un terrain qui devient de plus en plus fictif...
L'ère nouvelle due à l'évolution brutale des technologies du feedback (« la dernière révolution interne du capital ») permet d'atteindre aujourd'hui, dans un nombre toujours croissant de domaines, les limites du temps réel (y compris pour faire la guerre, en produisant des armes téléguidées « intelligentes ») et rend possible la manipulation intégrale de l'existence humaine.
Derrière des coulisses fictives apparaît, monstrueuse et brutale, la Grande Idéologie, dont le présage inquiétant (menetekek) nous est encore dissimulé. J'ose affirmer que jamais encore dans l'histoire de l'humanité cette idole qu'est le veau d'or n'a été adoré de façon aussi illimitée et absolue (Dividende et impera...)
La guerre du Golfe, qui eut pour conséquence une remilitarisation désastreuse des modes de pensée et de perception, surtout dans les jeunes générations, a failli être fatale à ma créativité. Mais elle a également éveille ma curiosité pour la culture arable, qui, aux yeux du nouvel ordre mondial, doit être considérée comme représentante du mal absolu et souvent mise dans le même sac que les phénomènes intégristes. Au-delà de tout intégrisme - je l'abhorre, qu'il soit islamiste, chrétien ou juif, je commençai à étudier la culture musicale de ce nouvel « ennemi mortel » et je découvris des points communs dont la trace était restée dissimulée pendant des siècles. En effet, la théorie musicale arabe classique du IXe au XVe siècle a profondément marqué, si ce n'est rendu possible, l'évolution de la musique occidentale. Toutes les mentalités « de croisade » passées ou présentes ne peuvent effacer cette réalité.
Un monde nouveau d'intervalles chromatiquement non tempérés — les érudits arabes divisaient l'octave en 53 commas — me conduisit pas à pas à une nouvelle conception de ma culture musicale, y compris de ma propre musique. J'appris à penser autrement dans bien des domaines, ce qui eut pour conséquence de m'ouvrir de nouveaux horizons productifs.
Le travail pour une grande formation orchestrale, particulièrement marquée par la tradition, fut à la fois un aiguillon et un défi majeur. Je dus me libérer de l'encerclement du grand orchestre et, en même temps, faire fructifier mes expériences des « rivages nouveaux »...
- J'articulai la formation traditionnelle en quatre groupes composés essentiellement de solistes, non pas au sens d'une polychoralité (spatiale), mais bien plutôt d'un principe « topographique » de proximités (sonores) différentes, de « symbioses » possibles.
- Dans la mesure ou j'écrivais pour l'orchestre, j'étais obligé de tenir compte de notre notation européenne de hauteurs sonores. Cela signifiait réduire les maqamat arabes composés de 17 degrés à une notation en quarts de ton, qui est tout de même fort proche des gammes arabes. Par ce biais, je découvris les possibilités de mondes sonores « harmoniques » totalement nouveaux, qui n'ont rien de commun avec le superchromatisme en quarts de tons qui a été jusqu'à présent élaboré chez nous. Ce fut là ma véritable découverte...
- J'ai totalement fondu la mélismatique arabe, avec ses arabesques très prononcées, dans des espaces sonores polychromes aux degrés variés, empilés (comme des coupes remplies de plaintes et de deuil) dans le système d'intervalles des modes que j'utilisais (maqamat en diverses transpositions : saba, maqam du deuil, hijazi, maqam des horizons désertiques, 'awj'ara, maqam enharmonique, très proche d'iraqi)
- Je me suis référé à la rythmique et à la métrique arables que dans les transitions. Le wazn samah que j'ai utilisé se clôt par un cycle de 36 battues. Il exprime traditionnellement le seuil (conductus - musique funèbre). J'ai certes varié ce cercle rythmique et métrique sans déroger à la tradition, mais je l'ai inséré dans une arabesque qui conduit à une prolation pouvant aller jusqu'à sept voix. (Sept vitesses en corrélation, 4 :4, 5 :4, 6 :4, 7 :4, 9 :8, 11 :8, 13 :8).
- Les Lamentationes de fine vicesimi saeculi ne reproduisent aucune conception formelle traditionnelle, ni de la symphonie européenne, ni de la musique arabe classique. On pourrait plutôt les comparer avec le libre déroulement d'un maqam dans le taqsim instrumental.
Un seul cryptogramme de Zeit-Wellen, lu et « rythmisé » sous des formes toujours différentes, tissé d'innombrables sons instrumentaux...Très peu de résonance, mais chaque son est une plainte étouffée — ... « ou la colère d'un ancien volcan, résidu pétrifié » ... (Rilke)
- Remémoré et transcendé en des durées toujours différentes, dans des couleurs toujours différentes, dans des espaces sonores prenant des formes toujours renouvelées : le travail du deuil, chargé sur nos épaules, porté, porté plus loin encore... se fondant dans la « spiritualité du petit matin ».
Klaus Huber, décembre 1994.
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