György Kurtág (1926)

Hommage à R. Sch. (1990)

pour clarinette (aussi grosse caisse), alto et piano

  • Informations générales
    • Date de composition : 1990
    • Durée : 9 mn
    • Éditeur : Editio Musica, Budapest, nº Z. 13809
    • Opus : 15d
Effectif détaillé
  • clarinette, alto, piano

Information sur la création

  • Date : 8 octobre 1990
    Lieu :

    Hongrie, Budapest


    Interprètes :

    Gellért Tihany : clarinette, Zoltán Gál : alto, Márta Kurtág : piano.

Titres des parties

  1. Merkwürdige Pirouetten des Kapellmeister Johannes Kreisler / Curieuses pirouettes du maître de chapelle Johannes Kreisler - Vivo
  2. E.: Der Begrenzte Kreis... / E[usebius] : Le Cercle limité... - Molto semplice, piano e legato
  3. ...und Wieder Zuckt es Schmerzlich F. um die Lippen... / ...et F[lorestan] sentit de nouveau le contour de ses lèvres tressaillir douloureusement... - Feroce, agitato
  4. Felhövalék, mársütanap... (Töredék-Töredék) / Je fus de l’ombre, et le soleil est de retour... (Fragment-Fragment) - Calmo, scorrevole
  5. In der Nacht / Dans la nuit - Presto
  6. Abschied (Meister Raro entdeckt Guillaume de Machaut) / Adieu (Maître Raro découvre Guillaume de Machaut) - Adagio, poco andante

Note de programme

 

De 1990, l’Hommage à R. Sch. est une des œuvres de Kurtág les plus jouées et les plus enregistrées – par R. Sch., entendez : Robert Schumann ; c’est à travers ce même titre en initiales que Bartók fait son hommage à Schumann dans ses Mikrokosmos pour piano. Les instruments en présence rappellent les Märchenerzählungen op. 132 qu’ils côtoient pour ce concert, et le numéro d’opus est le même que celui des Scènes d’enfants pour piano.

D’autres références à Schumann, plus ou moins explicites, parcourent les six pièces qui constituent l’op. 15d : on y retrouve notamment le chef d’orchestre Kreisler, que l’on rencontre chez E. T. A. Hoffmann et dans les Kreisleriana op. 16, et les personnages antagonistes du Carnaval et des Davidsbündlertänze (Danses des compagnons de David) représentant les doubles de Schumann : le rêveur et contemplatif Eusebius et le fier et impétueux Florestan. « [Ils sont] ma double nature, et je voudrais bien les concilier, comme le fait Raro en un seul homme. » (Schumann). Les curieuses pirouettes du maître de chapelle Johannes Kreisler ouvrent vigoureusement l’œuvre, par des courbes ascendantes puis descendantes.

La deuxième pièce laisse place au caractère introverti de Eusebius : « Le cercle limité est pur » est une des phrases du Journal de Kafka mises en musique par Kurtág dans ses Kafka-Fragmente op. 24 pour soprano et violon (1985-1987). Le même fragment est réécrit ici pour clarinette, alto et piano, tout en conservant le texte de Kafka entre crochets. La musique est pure, également : intervalles clairs, sonorités consonantes. Arrive Florestan, dont les lèvres « tremblent douloureusement », comme dans les Davidsbündlertänze. Les vers « Je fus de l’ombre, et le soleil est de retour… » est un « fragment-fragment » du poème « Chanson » d’Attila József (1928), et a été utilisé par Kurtág pour le titre d’une pièce pour piano de 1983 (puis dans les Jelek, játékok és üzenetek).

Le titre de la cinquième pièce, « Dans la nuit », renvoie aux Fantasiestücke pour piano op. 12, et celui de la sixième pièce, « Adieu », aux Scènes de la forêt pour piano op. 82. Cette dernière pièce nous présente la « rencontre entre Maître Raro et Guillaume de Machaut » : Raro est encore un pseudonyme schumannien – la figure du sage, du conciliateur – et Machaut est un des compositeurs majeurs pour Kurtág (voir les transcriptions). « Faites que les jeunes étudient les anciens, mais n’exigez pas d’eux qu’ils poussent la simplicité et le dépouillement jusqu’à l’affectation ! », dit Maître Raro (alias Schumann) à propos de Machaut. Le piano adopte une technique de basse obstinée, rappelant les structures isorythmiques de Machaut (color pour les hauteurs de notes, talea pour le rythme – de longueurs distinctes). À la fin de l’œuvre, quand résonnent les dernières figures du piano, le clarinettiste se lève pour aller frapper un coup de grosse caisse – un seul, pianissimo – qui clôt l’hommage.

 

Grégoire Tosser, programme du festival Musique sur Ciel (Cordes-sur-Ciel), 2005.