mise à jour le 5 décembre 2012
© Maurice Foxall

Jonathan Harvey

Compositeur britannique né le 3 mai 1939 à Sutton Colfield, Warwickshire, mort le 4 décembre 2012.

Né dans le Warwickshire (Angleterre) en 1939, Jonathan Harvey est choriste au St. Michael’s College de Tenbury puis étudie la musique au St. John’s College de Cambridge. Docteur des universités de Glasgow et de Cambridge, il étudie, sur le conseil de Benjamin Britten, la composition auprès d’Erwin Stein et d’Hans Keller, tous deux élèves de Schoenberg. Il se familiarise ainsi avec la technique dodécaphonique. De 1969 à 1970, il est Harkness Fellow à l’université de Princeton où sa rencontre avec Milton Babbitt influence considérablement son travail. Les nouvelles technologies, pourtant encore balbutiantes à l’époque, l’ouvrent à une dimension compositionnelle d’avant-garde : l’exploration du son. Sa rencontre avec Stockhausen est également décisive car elle le guide dans son apprentissage des techniques de studio. Leurs idées convergent sur le fait que les techniques électroniques permettent de transcender les limites physiques des sources sonores traditionnelles. Ces compositeurs sont tous deux en recherche d’un rapprochement entre le rationnel et le mystique, le scientifique et l’intuitif. En 1975, Jonathan Harvey publie un ouvrage sur l’œuvre de Stockhausen.

Au début des années 1980, Pierre Boulez invite Jonathan Harvey à travailler à l’Ircam ; il y réalise notamment Mortuos Plango, Vivis Voco (pour bande),Bhakti (pour ensemble et électronique), Advaya (pour violoncelle et électronique) et Quatuor à cordes n° 4 (avec électronique live). Il se familiarise également avec le courant spectral qu’il considère comme déterminant pour l’évolution de la musique d’aujourd’hui. En outre, le son électronique lui apparaît comme une ouverture vers les dimensions transcendantales et spirituelles.

L’œuvre de Jonathan Harvey couvre tous les genres : musique pour chœur a capella, grand orchestre (Tranquil Abiding, White as Jasmine et Madonna of Winter and Spring), orchestre de chambre (Quatuors à cordes, Soleil noir / Chitra et Death of Light, Light of Death), ensemble, et instrument soliste. Il est considéré comme l’un des compositeurs les plus imaginatifs de musique électroacoustique. Son premier opéra, Passion and Resurrection (1981), inspire le tournage d’un documentaire pour la BBC (The Challenge of the Passion) ; le second, Inquest of Love, commandé par l’English National Opera, est créé sous la direction de Mark Elder en 1993 ; le troisième, Wagner Dream, commandé par le De Nederlandse Opera, le Grand Théâtre de Luxembourg, le Holland Festival et l’Ircam, est créé en 2007.

De 2005 à 2008, Jonathan Harvey est en résidence à l’Orchestre symphonique écossais de la BBC où il créée Body Mandala,…towards a pure land et surtout Speakings en 2008 (commandée par l’Orchestre symphonique écossais de la BBC, l’Ircam et Radio France).

Jonathan Harvey reçoit des commandes du monde entier et est l’un des compositeurs d’aujourd’hui les plus fréquemment programmés. Ses pièces sont interprétées entre autres par l’ensemble Modern, l’Ensemble intercontemporain, l’ensemble Asko, le Nieuw Ensemble (Amsterdam) et l’ensemble Ictus (Bruxelles) dans des festivals comme Musica (Strasbourg), Ars Musica (Bruxelles), Musica Nova (Helsinki), Acanthes, Agora, ainsi que dans de nombreux centres de musique contemporaine. Près de deux cents représentations de ses œuvres sont données ou retransmises chaque année et environ quatre-vingts enregistrements sont disponibles sur CD.

Jonathan Harvey est Docteur Honoris Causa des universités de Southampton, du Sussex, de Bristol et d’Huddersfield et il est membre de l’Académie Européenne. Il publie deux livres en 1999 sur l’inspiration et sur la spiritualité. L’étude de son œuvre par Arnold Whittall paraît chez Faber & Faber (et, en français, aux Editions Ircam) la même année. Deux ans plus tard, John Palmer publie une étude substantielle, Jonathan Harvey’s Bhakti, aux éditions Edwin Mellen Press.

De 1977 à 1993, Jonathan Harvey est professeur de musique à l’université du Sussex où il reste ensuite professeur honoraire. De 1995 à 2000, il enseigne la musique à l’université de Stanford (Etats-Unis), est professeur invité à l’Imperial College de Londres et membre honoraire du St. John’s College de Cambridge.

Il reçoit en 1993 le prestigieux prix Britten de composition, en 2007, le Prix Giga-Hertz pour l’ensemble de ses œuvres de musique électronique et Speakings reçoit le prix Prince Pierre de Monaco. Il est le premier compositeur britanique à recevoir le Grand prix Charles Cros. Entre mai 2009 et mai 2010, l’œuvre de Jonathan Harvey est célébrée dans le monde entier, dans le cadre de concerts et de festival qui lui sont dédiés, par de nouveaux enregistrements et portraits. Le BBC Symphony Orchestra le célèbre à son tour dans sa série Total Immersion en janvier 2012.


© Ircam-Centre Pompidou, 2012

Sources

  • Site du compositeur ;
  • Faber Music éditeur ;
  • Arnold WHITTALL, Jonathan Harvey ;
  • Célestin DELIÈGE, Jonathan Harvey, une consonance de l’art et de l’artisanat (site de l’association Entretemps) ;
  • Eric DE VISSCHER, livret du CD Bhakti par le Nouvel Ensemble Moderne, direction Lorraine Vaillancourt, paru chez Auvidis/Montaigne.

Par Bruno Bossis

Né en 1939, Jonathan Harvey est l’un des compositeurs anglais les plus importants depuis les années 1960. Il appartient à la même génération que Peter Maxwell Davies, qui a séjourné à Princeton quelques années avant Harvey, et Harrison Birtwistle. Sa musique s’enracine dans le plain-chant et dans la musique vocale anglaise. Son intérêt pour le sérialisme, son engagement pour l’utilisation des technologies et sa passion pour des cultures non occidentales en font l’un des représentants les plus originaux de la musique contemporaine. Loin de toute facilité, son œuvre exigeante témoigne de choix stylistiques dans lesquels la rigueur de l’écriture s’allie à une pensée, à une spiritualité et à un imaginaire poétique de haute tenue. Dans sa musique, la sérénité, la transparence, le calme et la douceur apparents sont le fruit de ces recherches qui s’éclairent mutuellement.

Les années de formation

Fils d’un homme d’affaire anglais, compositeur autodidacte amateur des harmonies de Scriabine et de Fauré, Jonathan Harvey participe très tôt aux activités musicales familiales. A neuf ans, il entre au St Michael’s College de Tenbury Wells, institution renommée dans laquelle il travaille le piano et le violoncelle, et chante quotidiennement lors de deux services religieux, rituels qui l’impressionnent fortement. Le contact avec la grande tradition de la musique chorale anglaise et la richesse de la bibliothèque de l’école contribuera à la richesse de la pensée musicale du compositeur.

Son passage à Repton School l’éloigne ensuite de cette proximité avec la religion. Il y rencontre Benjamin Britten qui l’encourage et lui trouve un professeur de composition, l’éditeur et chef d’orchestre Erwin Stein, un élève de Schönberg. Son apprentissage progresse rapidement dans le cadre d’une certaine rigueur formelle. En 1957, il entre à l’université de Cambridge. Lorsque Stein meurt en 1958, Britten lui conseille alors Hans Keller, qui se situe également dans la filiation de Schönberg, mais dont les conseils lui laissent plus de liberté.

Ses études terminées, Harvey commence une carrière d’enseignant à l’université de Southampton, puis à l’université du Sussex, dans le sud-est de l’Angleterre. En dehors de la composition, il y donne un cours interdisciplinaire sur l’art et le spirituel pour les Cultural and Community Studies et un autre sur l’opéra.

Les années soixante et début des années soixante-dix : œuvres de jeunesse, musique anglaise et sérialisme

Les œuvres de jeunesse de Jonathan Harvey forment un corpus relativement dense et cohérent. Elles sont profondément influencées par ses premières rencontres musicales, mais laissent également deviner certains traits de son style de maturité. Tout d’abord, sa fréquentation du plain-chant et de la musique sacrée anglicane ancre ses premières compositions dans la tradition. Par ailleurs, sa connaissance du sérialisme, acquise à travers l’enseignement de ses professeurs, Stein et Keller, est complétée lors de son séjour à Princeton en 1969-1970. Il y rencontre en effet Milton Babbitt, un acteur important de la musique sérielle aux Etats-Unis. En 1972, l’écriture de sa Cantata VII (On Vision) s’appuie particulièrement sur ces techniques sérielles. Harvey affirmera plus tard que « pour atteindre le frisson de la richesse, il est toujours nécessaire de s’imposer des contraintes rigoureuses 1 » . Mais l’influence de Babbitt sur le jeune Harvey se situe aussi sur un tout autre plan. Le compositeur américain est également un passionné de musique électronique. Comme Babbitt, Harvey ne tardera guère à croiser l’écriture sérielle et les techniques électroacoustiques. En effet, l’effectif de la Cantata VII (On Vision) comprend également, pour la première fois dans son œuvre, un dispositif électroacoustique sous la forme d’une bande magnétique stéréophonique.

De 1964 à 1977, Harvey enseigne régulièrement à l’université de Southampton. Il y aborde la musique de la seconde école de Vienne et celle de Boulez et Ligeti. Il assure également un cours de composition et un autre sur la théorie analytique de Heinrich Schenker. Par ailleurs, sa pratique d’improvisations avec des dispositifs électroniques renforce encore son intérêt pour la nouvelle lutherie.

En 1966, sa rencontre avec Karlheinz Stockhausen à Darmstadt est un événement important dans sa jeune carrière. Dès l’année suivante, l’empreinte de Stockhausen sur la Chaconne pour orchestre est évidente, même si le compositeur anglais possède déjà sa propre personnalité musicale. Harvey admire dans la musique du compositeur de Cologne la fusion de la construction rationnelle et de l’aspect intuitif allant parfois jusqu’au mystique. Vivement impressionné sans pour autant suivre un modèle stylistique, Harvey commence, dès 1969, à écrire un livre sur Stockhausen. Il affirme encore en 2000, dans un entretien accordé à Arnold Whittall, que Stockhausen « […] est resté un guide mystérieux à travers mon œuvre 2 » .

Il faut souligner que Stockhausen, comme Babbitt, recherche alors une vision structurelle du temps, une écriture fortement charpentée sur le plan formel, mais aussi un élargissement des possibilités de la lutherie par l’introduction de nouvelles technologies.

Grâce à cette curiosité d’esprit, les œuvres de jeunesse de Harvey se démarquent déjà du style musical alors dominant en Angleterre (Tippett et Britten) en s’appuyant sur ce qui deviendra le post-sérialisme d’une part et les découvertes récentes de l’électronique musicale d’autre part. Si le langage de Harvey n’est pas encore tout à fait personnel, les fondations sont en place et les prémices d’un style original apparaissent déjà. Dès sa Symphonie (1966), il est aisé de percevoir la transparence de la texture sonore et la flexibilité formelle qui deviendront des caractéristiques importantes de son style de maturité.

Les années soixante-dix : vers un style plus contemplatif, fusion entre musique et spiritualité

Vers 1972, Harvey découvre les livres de Rudolf Steiner, le spécialiste de Goethe et le fondateur de l’anthroposophie qui vise à réconcilier les mondes matériel et spirituel. Pour Steiner, tout élément de la nature la plus triviale possède une composante spirituelle. Cette pensée a influencé indirectement la musique de Harvey en favorisant la dissolution de certains formalismes en faveur de constructions plus souples, mais sans pour autant marquer un quelconque relâchement. Au contraire, pour Harvey, l’introduction d’une part d’irrationalité, d’incompréhensible, témoigne d’un état particulièrement intense de l’être. Cette idée est fondamentale, non seulement dans la pensée de Harvey, mais aussi dans son écriture musicale.

Ainsi, dès les années 1970, Harvey cherche à rapprocher son langage musical, notamment harmonique et électroacoustique, de la spiritualité. Inner Light, trilogie composée entre 1973 et 1977 sur des textes en partie issus des œuvres de Steiner, reste encore fortement structurée par des procédés d’écriture reconnaissables, mais évolue déjà vers une musique beaucoup plus contemplative. Dans son style de maturité, le contraste entre l’évidence téléologique de gestes musicaux fortement ancrés dans le temps et la lumière intemporelle d’une mélodie ou d’une harmonie extatiques sera de plus en plus évidente.

Le début des années quatre-vingt : spiritualité chrétienne et technologie

Au début des années 1980, deux événements vont profondément influencer Jonathan Harvey : sa participation à la vie religieuse de Winchester et son travail à l’Ircam.

Après l’inscription de son fils Dominic dans le chœur de la cathédrale de Winchester, le compositeur est impressionné par la qualité de l’ensemble vocal, et par l’acoustique particulière de la cathédrale. Harvey écrit alors une douzaine d’œuvres pour le chœur, dont Hymn (1979). Le doyen de la cathédrale et l’évêque Taylor favorisent également sa participation et c’est avec le chœur de Winchester qu’il monte l’opéra Passion and Resurrection. Si la première partie de cette œuvre, intitulée Passion, repose sur une musique austère et implacable, la seconde, Résurrection, fait apparaître pour la première fois chez le compositeur un axe de symétrie, procédé utilisé sous une autre forme dans Bhakti (1982). L’harmonie construite sur des notes fondamentales situées en son centre semble faire léviter les textures sonores, métaphore de la transcendance spirituelle chrétienne, comme la résurrection délivre le Christ de la souffrance humaine. Une fois encore, la technique d’écriture est mise au service d’une conception spirituelle.

La vie musicale associée à la cathédrale de Winchester inspire également le compositeur lorsqu’il est invité à l’Ircam à la même époque. Mortuos Plango, Vivos Voco (1980), pour bande seule, est entièrement réalisée sur ordinateur à partir de deux sons enregistrés : la voix de son fils Dominic et la grande cloche ténor de la cathédrale. Dans cette œuvre, un processus basé sur des axes de symétrie est à nouveau présent, mais cette fois au sein même des partiels, dans des glissandi spectraux. D’autres pièces importantes seront composées à l’Ircam, dont Bhakti (1982), Ritual Melodies (1990), Advaya (1994), le Quatuor à cordes n° 4 (2003) et Wagner Dream (2007). Contrairement à d’autres styles musicaux, l’électronique est très rarement utilisée chez Harvey pour créer des gestes musicaux spectaculaires, mais plutôt pour créer des zones d’incertitudes. Par exemple, dans Madonna of Winter an Spring, la réverbération prolonge les résonances de l’orchestre et génère un halo lumineux qui brouille la perception de structures musicales individualisées. En dehors de l’Ircam, Harvey a également travaillé au sein du studio du MIT aux Etats-Unis avec Tod Machover et Barry Vercoe pour From Silence (1988) et au studio de la WDR à Cologne sur One Evening… (1993-1994).

Les outils technologiques lui permettent ainsi de manipuler le son au niveau de ses composantes intimes, les partiels, rapprochant ainsi sa musique des idées du courant spectral né au sein de L’Itinéraire. Mortuos Plango, Vivos Voco, avec ses hybridations et interpolations spectrales entre voix et cloche, entre sons naturels et artificiels, Bhakti dont le dernier mouvement comprend une longue exploration spectrale de la série harmonique génératrice de la pièce sur sol, Ritual Melodies fondées sur un spectre unique, le Tombeau de Messiaen *(*1994) avec ses jeux sur les harmoniques naturelles ou non, sont autant d’exemples de l’exploration de l’intérieur des sons.

Plus généralement, pour Harvey, la technologie n’est pas un frein à une approche plus spirituelle de la musique. Au contraire, elle a toujours constitué pour lui une sorte de porte ouverte, de passage, de pont vers une expression de l’indicible.

À partir des années quatre-vingt : vers une vision mystique

En 1982, Bhakti dévoile pour la première fois une attirance vers le bouddhisme qui marquera les œuvres des années suivantes. Des fragments du Rig Veda sont cités à la fin de chaque mouvement. Le titre sanskrit signifie « dévotion », notion devant être comprise ici, non comme un attachement aveugle et stérile à un rite, mais comme un chemin vers le salut. L’interrogation sur la souffrance, si importante pour Harvey, trouve un espoir de solution dans le bouddhisme. Mais cette conscience ne relève pas du rationnel se basant sur des concepts simples et entièrement définis. Musicalement, dans Gong-Ring (1984), la modulation en anneau rend imperceptible toute catégorisation sonore en engendrant un grand nombre de partiels, comme une irradiation complexe. La lumière mystique est plus directement évoquée dans Tendril (1987), œuvre écrite sur le vers de e. e. cummings : « luminous tendril of Celestial wish ». Valley of Aosta (1988), inspirée par un tableau de Turner, donne vie à cette lumière diffuse, à la fois équivoque et transcendante. Comme chez le peintre, la matière est palpable, les objets existent mais ne sont pas discernables individuellement. Toute pluralité est dépassée. Plus tard, les Ritual Melodies (1990) évoquent des rituels imaginaires à l’aide de chaînes mélodiques et de timbres ambigus réalisés par ordinateur. L’oubli des catégories matérielles mène à l’unicité et au vide. La vacuité bouddhiste, heureux mariage entre la béatitude et le vide, se reflète dans le quatrième mouvement de One Evening… (1993-1994). Opposé à l’hébètement, cet oubli de soi et de la matérialité mène au contraire à un niveau supérieur de conscience et de créativité. A propos de From Silence, le compositeur affirme que le silence est « l’état zéro dans lequel la paix profonde et la créativité sont vécues 3 » . En 1994, Advaya, dont le titre sanskrit signifie l’absence de dualité, réalise métaphoriquement l’unité en fusionnant les mondes sonores du violoncelle et de l’électronique dans des textures sonores à la fois méditatives et pleines de vie. Enfin, la contemplation extatique et éveillée est pleinement vécue dans Tranquil Abiding (1998), comme un lac et ses reflets.

Au début du XXIe siècle, la composition du troisième opéra de Harvey constitue une sorte de point de convergence des différentes préoccupations du compositeur et de son parcours musical. Wagner Dream (2007) met en relation les derniers instants de la vie de Wagner et son projet peu connu, resté à l’état de synopsis, d’un opéra bouddhiste. Dans Wagner Dream, le personnage de Wagner, mourant, assiste à l’opéra qu’il n’a pas composé, mettant en scène l’amour impossible de Prakriti et d’Ananda. Si la jeune fille choisit le renoncement bouddhiste, Wagner optera in fine pour le douloureux combat de la vie sur terre. L’électronique, un élément important de l’opéra, favorise la dissolution de la texture sonore, proposant une perception plus bouddhiste du monde. Réalisé en grande partie à l’Ircam, le dispositif comprend un système informatique permettant un grand nombre de traitements sonores en temps réel dont une spatialisation commandée par une tablette graphique. Wagner Dream est également remarquable par la mise en œuvre d’une chaîne mélodique irriguant en profondeur le discours musical et l’unifiant. Dissolution et unicité se conjuguent au sein de la pensée bouddhiste comme dans la musique de Harvey.

Au-delà de la seule musique

L’œuvre de Jonathan Harvey rassemble les spiritualités occidentale et orientale dans une fusion sonore complexe. L’écriture musicale de ses débuts, issue de ses études sérielles, s’assouplit et se transforme progressivement en une méditation sonore extatique, inspirée par la pensée post-romantique de Steiner, puis par la spiritualité chrétienne et bouddhiste. Orient et Occident, nature et métaphysique, ou plus musicalement tradition vocale anglaise et sérialisme, dispositif électronique et instruments acoustiques, toute dualité semble se dissoudre chez Harvey dans une communion d’un ordre supérieur. La transparence et l’ambiguïté des textures sonores, la conduite temporelle extatique, ne tendent pas vers un néant musical, n’expriment pas l’inexprimable, mais véhiculent une grande rigueur d’écriture et une pensée complexe. Pour Harvey, comme dans le bouddhisme, le renoncement reflète une intense activité spirituelle et ouvre le passage vers la transcendance.

Bruno Bossis (Université Rennes 2, Université Paris IV - Sorbonne)

Notes
  1. Jonathan HARVEY, « The Mirror of Ambiguity », dans The Language of Electroacoustic Music, (textes réunis par Simon Emmerson), Macmillan Press, 1986 (traduction française dans Le timbre, métaphore pour la composition, Paris, Ircam-Christian-Bourgois, 1991), p. 183.
  2. Arnold WHITTALL, Jonathan Harvey, traducteurs Peter Szendy et Eric de Visscher, Paris, L’Harmattan, Ircam-Centre Georges Pompidou, 2000 [édition originale Londres, Faber & Faber, 1999], p. 22.
  3. Jonathan HARVEY, Notes by Jonathan Harvey, livret du Cd Jonathan Harvey, traduction de l’auteur, USA, Bridge Records, BCD9031, 1992, n. p.

© Ircam-Centre Pompidou, 2007

Bibliographie

  • Gabriel José BOLAÑOS CHAMORRO, « Un análisis de Speakings de Jonathan Harvey para orquesta y electrónica », in Ricercare, Issue 13, 2021, p. 72-107.
  • Bruno BOSSIS, « Wagner Dream ou le temps immobile d’un dernier soupir », dans L’étincelle, journal de la création de l’Ircam #1, novembre 2006, Paris, Ircam - Centre Pompidou.
  • Bruno BOSSIS, « Analyse de Mortuos plango, vivos voco de Jonathan Harvey », 2014, à lire sur https://brahms.ircam.fr/analyses/Mortuos/ (lien vérifié en octobre 2023).
  • Célestin DELIÈGE, « Jonathan Harvey, une consonance de l’art et de l’artisanat », sur http://www.entretemps.asso.fr/Deliege/Celestin/Textes/Harvey.html (lien vérifié en octobre 2023).
  • Michael DOWNES, Song Offerings and White as Jasmine, Ashgate, 2009.
  • Laura EMMERY, « Gender Identity and Gestural Representations in Jonathan Harvey’s String Quartet No. 2 », in Music Theory Online, Sep. 2021, Vol. 27, Issue 3, p. 37-53.
  • Laura EMMERY, « Jonathan Harvey’s String trio: the rustic and the sacred », in New Sound: International Magazine for Music, 2022, Vol. 60, Issue 2, p. 149-176.
  • Jonathan HARVEY, « Spiritual Music: ‘positive’ negative theology? », in Robert SCHOLL, Sander VAN MAAS (dir.), Contemporary Music and Spirituality, Routledge, 2010.
  • Jonathan HARVEY, « Music, Ambiguity, Buddhism: A Composer’s Perspective » in Contemporary Music, ed. Max Paddison et Irene Deliege, Ashgate, 2010, p. 279-304.
  • Jonathan HARVEY, Jean-Claude CARRIÈRE, [Wagner dream] dans L’étincelle, journal de la création de l’Ircam #1, novembre 2006, Paris, Ircam - Centre Pompidou.
  • Jonathan HARVEY, Jean-Claude CARRIÈRE, Circles of Silence: Musings and Reflections on Wagner Dream, The Cahier Series, Sylph Editions, 2007.
  • Jonathan HARVEY, In Quest of Spirit. Toughts on Music, University of California Press (« Ernest Bloch Lectures »), 1999.
  • Jonathan HARVEY, Music and Inspiration, textes réunis par Jonathan Harvey et Michael Downes, Faber and Faber, 1999.
  • Jonathan HARVEY, « Music and Mysticism », dans Contemporary Music Review, vol.14, Harwood Academic Publishers, 1996.
  • Jonathan HARVEY, « Foreword », dans Brian Ferneyhough. Collected Writings, Harwood Academic Publishers, 1995.
  • Jonathan HARVEY, contribution à « Fragments d’un discours utopique », dans Utopies, Ircam - Centre Pompidou, coll. “Les Cahiers de l’Ircam”, n°4, 1993, p 101-102.
  • Jonathan HARVEY, « New Directions : The Conception and Development of a Composition » (1984), repris dans Companion to contemporary musical thought, textes réunis par John Paynter, Routledge Companion Encyclopedias, 1992.
  • Jonathan HARVEY, « Respect for the New », dans Musical Times, n° 133, 1992.
  • Jonathan HARVEY, « Sounding out of the Inner Self », dans Musical Times, n° 131, 1990.
  • Jonathan HARVEY, « Madonna of Winter and Spring », dans Musical Times, n° 127, 1986.
  • Jonathan HARVEY, « The Mirror of Ambiguity », dans The Language of Electroacoustic Music, textes réunis par Simon Emmerson, Macmillan Press, 1986 (traduction française dans Le timbre, métaphore pour la composition, Ircam-Christian bourgois, 1991).
  • Jonathan HARVEY, « Ircam », dans Pierre Boulez : A Symposium, textes réunis par William Glock, Eulenburg Books, 1986.
  • Jonathan HARVEY, « Notes on the Realization of Bhakti », dans Computer Music Journal, n° 8, 1984 (traduction française dans l’Ircam. Une pensée musicale, Édition des Archives Contemporaines, 1984).
  • Jonathan HARVEY, « Reflection after composition », dans Tempo, n° 140, 1982 (traduction française dans L’Ircam. Une pensée musicale).
  • Jonathan HARVEY, « “Mortuos plango, vivos voco” : a realization at Ircam », dans Computer Music Journal, n° 5, 1981.
  • Jonathan HARVEY, « Atonality », dans Musical times, n° 121, 1980.
  • Jonathan HARVEY, « Inner Light (3) », dans Musical Times, n° 120, 1979.
  • Jonathan HARVEY, « Schoenberg, man or woman ? », dans Music & Letters, LVI, 1975.
  • Jonathan HARVEY, The Music of Stockhausen, An Introduction, Faber and Faber, 1975.
  • Jonathan HARVEY, « Jonathan Harvey writes about his Persephone Dream », dans The Listener, n° 79, 1973.
  • John PALMER, Jonathan Harvey’s Bhakti for Chamber Ensemble and Electronics: Serialism, Electronics and Spirituality, coll. « Studies in the History and Interpretation of
  • Makis SOLOMOS, « L’identité du son. Notes croisées sur Jonathan Harvey et Gérard Grisey » dans Résonances, n° 13, Ircam - Centre Pompidou, 1998.
  • Arnold WHITTALL, Jonathan Harvey, Paris, l’Harmattan / Ircam – Centre Pompidou, 2000 coll. « Compositeurs d’aujourd’hui », (traduction de la première édition Faber & Faber , 1999).

Discographie

  • Jonathan HARVEY, I love the Lord ; Come, Holy Ghost ; Plainsongs for Peace and Light ; Remember, O Lord ; The Annunciation ; The Angels, dans « The Angels », Ensemble Les Métaboles, Léo Warynski : direction, avec des œuvres de William  Byrd, Henry  Purcell et Giovanni Pierluigi da Palestrina, 1 Cd NoMadMusic, 2021, NMD089D.
  • Jonathan HARVEY, I Love the Lord ; Magnificat ; Nunc Dimittis ; Toccata pour orgue et bande ; Come, Holy Ghost ; Praise Ye the Lord ; Missa Brevis ; Kyrie ; Gloria, Sanctus & Benedictus ; Agnus Dei ; The Royal Banners Forward Go ; Laus Deo ; The Annunciation, The Choir of St John’s College, Edward Picton-Turbervill, orgue, Andrew Nethsingha, direction, dans « Deo », 1 cd Signum Classics, 2016, SIGCD456.
  • Jonathan HARVEY, Wagner Dream, Ictus Ensemble, Martyn Brabbins, direction, 2 cd Cypres, 2012, CYP5624.
  • Jonathan HARVEY, Bird Concerto with Pianosong ; Ricercare una melodia ; Other Presences ; Ricercare una melodia, London Sinfonietta, Hideki Nagano : piano, David Atherton : direction, 1 cd NMC 2011.
  • Jonathan HARVEY, The Angels ; Ashes Dance Back ; Marahi ; The Summer Cloud’s Awakening, Latvian Radio Choir, direction : James Wood, 1 cd Hyperion, 2011, CDA67835.
  • Jonathan HARVEY, Run before lightning ; Vers ; Quantumplation ; Flight-elegy ; Nataraja ; Tombeau de Messiaen ; The riot ; Haiku, Dynamis ensemble, direction : Javier Torres Maldonado, 1 cd Stradivarius, 2011, STR 33796.
  • Jonathan HARVEY, Speakings ; Scena ; Jubilus, BBC Scottish Symphony Orchestra, Ilan Volkov, 1 cd æon, 2010, AECD1090.
  • Jonathan HARVEY, « Wheel of Emptyness » : Wheel of Emptyness ; Tombeau de Messiaen ; Ricercare una melodia 1 ; Advaya ; Ricercare una melodia 2 ; Death of Light/Light of Death, ensemble Ictus, direction : Georges-Elie Octors, 1 cd Cyprès, 2009.
  • Jonathan HARVEY, « Works for piano - Works flute and piano » : Nataraja ; Run Before Lightning ; Vers ; ff ; Homage to Cage, à Chopin (und Ligeti ist auch dabei) ; Haiku ; Four Images After Yeats ; Florian Hoelscher : piano, Pirmin Grehl : flûte, 1 Cd NEOS, 2009, n° 10828.
  • Jonathan HARVEY, Complete String Quartet & Trio, quatuor Arditti, 1 Cd æon, 2009.
  • Jonathan HARVEY, Body Mandala ; Timepieces ; Tranquil Abiding ; White as Jasmin ; …Towards a pure land, Anu Komsi, BBC Scottish Symphony Orchestra, Ilan Volkov, Stefan Solyom, 1 cd NMC, 2008, D141.
  • Jonathan HARVEY, Angels : The Angels ; Missa brevis ; Marahi ; How could the soul take flight ; Dum transisset Sabbatum ; Sweet/ Winterhart, Ensemble Les jeunes solistes, direction : Rachid Safir, 1 Cd Soupir & Nocturne, 2007.
  • Jonathan HARVEY, « With plateaux violoncelle seul » Advaya ; Limen ; Arne Deforce, violoncelle, Yukata Oya, piano, Music and Arts, 2005.
  • Jonathan HARVEY, Mythic Figures, comprenant The Riot ; Nachtlied ; Valley of Aosta, Harrie Starreveld : flûte, Harry Sparnaay : clarinette basse, René Eckhart : piano, Jane Manning : soprano, David Mason : piano, , Ensemble Musique Nouvelle, direction : Georges-Elie Octors, 1 cd Sargasso, 2001, SCD28044.
  • Jonathan HARVEY, Madonna of Winter and Spring, Netherlands Radio Philharmonic, direction : Peter Eotvos, Peter Prommel : percussion, London Sinfonietta, direction : George Benjamin, Penelope Walmsley-Clark : soprano, 1 cd Nimbus, 2000, NI 5649.
  • Jonathan HARVEY, Advaya ; Death of Light, Light of Death ; One Evening… Pierre Strauch, violoncelle, Sarah Leonard : soprano, Mary King : mezzo-soprano, Ensemble intercontemporain, direction : Stefan Asbury, 1 cd Universal, coll. « Compositeurs d’aujoud’hui », 1999, 465 281-2.
  • Jonathan HARVEY, Tombeau de Messiaen ; Mortuos Plango, Vivos Voco ; 4 images after Yeats ; Ritual melodies, Philip Mead, piano, 1 cd Sargasso, 1999.
  • Jonathan HARVEY, Passion and resurection, enregistrement en direct BBC par les chanteurs et orchestre de la BBC, direction : Martin Neary, Stuart MacIntyre, baryton, 2 cds, Sargasso, 1999, SCD28052.
  • Jonathan HARVEY, Bhakti, Nouvel ensemble moderne, direction : Lorraine Vaillancourt, 1 cd Auvidis Montaigne, 1996, MO 782086.
  • Jonathan HARVEY, String Quartets ; Lotuses ; Scena, Arditti String Quartet, Renggli, Niew Ensemble, Spanjaard, 1 cd Auvidis Montaigne, 1995, MO 782034.
  • Jonathan HARVEY, Concerto pour violoncelle ; Curve with plateaux ; Ricercare una melodia ; Three Sketches ; Philla’s dream, Frances-Marie Uitti, violoncelle, direction : Jose Ramon Encinar, 1 cd etcetera, 1995.
  • Jonathan HARVEY, Song offerings, avec les œuvres de Georges Benjamin et Pierre Boulez, 1 cd Nimbus, 1989, NI 5167.

Sites Internet

(liens vérifiés en octobre 2023).