Recourir aujourd’hui, à l’heure des machines numériques, à la dialectique, impose des conditions de vie peu reposantes ; c’est bien pourtant ce que l’histoire exige désormais de nous : la modernité se veut présent ; le passé se montre à satiété, mêlant reliques et falsifications.
Dans ce morceau, rien ne se fixe ; chaque nouvel élément est une tentative possible de résorption dialectique de tensions. En quelque sorte, la définition du « baroque » par Guy Debord, comme d’un monde qui aurait perdu son centre, serait une fois de plus à l’œuvre ici : l’excentration est la norme dans un paysage où la notion même de thème (comme dans « thème et variations ») serait perçue comme incongrue.
C’est sous la pression bienvenue d’une commande que j’ai écrit ici pour la première fois une partie de saxophone. Mon premier empressement a été de me démarquer autant que possible (au moins consciemment) des habituels clins d’œil au jazz, et à ses sempiternels clichés tiédasses. S’il fallait absolument désigner une paternité historique à l’emploi du saxophone dans ma musique, je me référerais volontiers à Alban Berg, à la volupté vénéneuse et à l’élégante vulgarité de la cantate Der Wein.
Ma musique est toujours très simple, mais elle réunit dans sa construction des exigences très différenciées (c’est, semble-t-il, la définition officielle du substantif complexité) : la question de l’écoute et de la remémoration, l’exigence des arrière-plans combinatoires, la présence terrible du passé. Baltasar Gracián, grand connaisseur du temps historique, dit avec beaucoup de pertinence, dans L’Homme de cour : « Soit l’action, soit le discours, tout doit être mesuré au temps. Il faut vouloir quand on le peut; car ni la saison, ni le temps n’attendent personne. »
Brice Pauset.