Gottfried Benn, Lucrèce, Carlo Michelstaedter, Friedrich Nietzsche, Ovide, Ezra Pound, Rainer Maria Rilke et Franz Rosenzweig, réunis par Massimo Cacciari
viola, cello, double bass, flute (also piccolo, bass flute), clarinet (also Eb clarinet), contrabass clarinet, tuba (also piccolo trumpet [sib])
Allemagne, Cologne.
Luigi Nono
Les mots par lesquels Lucrèce décrit la peste d'Athènes et les invectives des Cantos de Pound commentent la malédiction que lance Nietzsche contre le plus froid de tous les monstres froids, l'Etat, l'idole Etre-Etat (jeu de mots italien intraduisible : « essere-stato », signifie à la fois «Etre-Etat», et « avoir été ») : le signe qui prêche la Mort hante par la vision de ses funérailles (funera respectans), qui ne regarde que la « putain Jadis » (comme disait Walter Benjamin), le mot de la puissance, de la force et de la violence, Kratos et Bia.
Ainsi, l'usure de Pound, aveugle, muette, dévorante, roue d'Ixion du temps rongeur - qui ne connaît que cette dimension du temps - ainsi, l'usure contre laquelle se jette le poête, n'entend pas, dans le « sea-surge », dans la marée montante, « the rattle of old men voice », le murmure des voix anciennes : l'usure est aveugle à ces «flames, étendards et chevaux armoriés » que Paolo Uccelo voyait déjà, montrant sur ce point, une fois pour toutes, comment il est possible de voir. Et elle ne nous laisse, l'usure, « only the husk of the talk », que la cosse du dialogue.
Mais — le puissant Mais de Rosenzweig, qui déjà retentissait dans Das atmende Klarsein, comme plus tard dans Diario polacco 2 — c'est justement quand le danger est extrême, quand, selon les mots de Benn, il ne peut faire plus sombre, quand mundus patet, quand la terre s'ouvre, que jaillissent les Larves, les Lémures, la corruption, la puanteur, la pourriture (corruptio, faztor, fungus), et qu'on veut nous plier devant l'idole Etre-Etat, à cet instant précisément il y a quelqu'un, Memor, Celui qui se souvient, qui connaît les mots et les gestes capables de faire face, Ce Memor ne fuit pas devant la Wildjagd (chasse sauvage) des Lémures, il se dresse face à elle et accomplit son rite. Pas d'affrontement « romantique » : les monstres sont froids — rythmé, scandé, pathos libre de tout « charme », même le sacra facere (l'acte sacré) que nous pouvons leur opposer. Le troisième moment, qui emprunte son titre à un vers de Benn (« Où est le grand Néant des Animaux ? »), est le sceau de la maturité, que la mémoire du rite a inauguré. Le Néant n'est plus le simple Néant, le vide, l'absence — mais le grand Néant où résonne, profond, das Offene, l'Ouvert de Rilke : silence qui résiste à la violence productive de la Phrase, à la violence du dis-courir, du bavardage, du « on », essence de la Terre et de l'Animal qui résiste à la violence imposée, à l'Hybris, qui de ce Bestand (existence) veut faire une pure propriété. C'est le grand Néant d'où constamment naissent les mots, les souvenirs, les rythmes. L'Animal le sait. Et c'est pourquoi il est l'Ange, le Messager. Ainsi le vers de Rilke qui dépeint l'Ange est-il en profonde sym-pathie avec ceux qui reflètent l'Animal. Celui qui en est arrivé là, à partir de l'intuition des monstres froids, commence à ne pas être « superflu », Nietzsche : überflüssig, c'est-à-dire qu'il commence à ne pas « fluer », à ne pas courir ou dis-courir ; il commence à pouvoir rester debout ou à tenter de rester debout ; à ne pas « s'enfuturer », à ne pas constamment se rendre étranger à lui-même : au contraire, il se développe, il se déploie, il se raconte, il commence à être dans la dimension de l'Entwicklungsfremdheit. Il commence à être persuadé et à s'opposer à la rhétorique, pour reprendre les termes de Carlo Michelstaedter qui anticipent de vingt ans certaines pages de Heidegger.Alors, dans son « air » peuvent se sauver également tous les « passés ». Car les dieux ne meurent pas, ils sont « discontinus », inconstants ; ils aiment la différence, le discontinu ; ils suivent d'inextricables méandres ; ils s'enfoncent parfois dans de longs cheminements souterrains et en ressortent transformés. C'est le monstre froid de l'Etat, de l'Etre-Etat, qui simplement décrète sa mort, qui voudrait la mort « parfaite ». Mais là où cesse l'Etat, où cesse l'idolâtrie, cesse également ce décret de la mort. Et l'air se recrée, plein de discontinuous gods, de dieux inconstants. Et nous pouvons abandonner la peur.
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