informations générales

date de composition
1999
durée
35min
éditeur
Schott
Dédicace
à András Schiff

genre

Musique soliste (sauf voix) (Piano solo)

effectif détaillé

piano

informations sur la création

date
12 septembre 2001

Allemagne, Berlin, Berliner Festwochen der Philharmonie

interprètes

András Schiff.

Note de programme

Un fantĂ´me dans le piano. Entretien avec Heinz Holliger.

Heinz Holliger, on vous connaĂ®t naturellement comme hautboĂŻste, mais vous avez Ă©galement Ă©tudiĂ© le piano : quel rapport entretenez-vous avec cet instrument ?

Heinz Holliger : Trouver les professeurs qui vous conviennent relève souvent du hasard ou de la chance : ainsi, ce fut pour moi une chance de tomber sur Yvonne LefĂ©bure comme professeur de piano au Conservatoire de Paris. C’était une très grande artiste. Elle m’a appris Ă  transcender l’instrument : ne pas le jouer en tant que simple matĂ©riau sonore, mais le dĂ©crire, et trouver un moyen de tout faire avec. Le piano doit pouvoir chanter, il peut ĂŞtre un chĹ“ur, un cor, un violon, un violoncelle, tout un orchestre. C’est aussi mon aspiration en tant qu’interprète — le hautbois peut sembler très limitĂ©, mais il porte en lui toutes ces possibilitĂ©s de transcendance — et en tant que chef.

Vous avez très peu écrit pour le piano. Pourquoice désamour ?

Le piano m’est très proche, je l’ai beaucoup joué. Mais, après Elis (1961), je n’ai plus osé écrire pour piano seul, je ne sais pourquoi. Peut-être parce que je me suis tant intéressé au début des sons — ces sons qui naissent du silence et disparaissent dans le silence ou dans un souffle. Le piano, tout comme l’orgue, ne permet pas de travailler ces débuts de note. Pendant vingt ans, je n’ai pratiquement rien fait — mis à part mes Lieder ohne Worte, (1982-1994) pour violon et piano, où, d’ailleurs, l’on ne reconnaît pas toujours le piano dit traditionnel. Depuis 1989, j’ose davantage m’approcher de cet instrument si chargé d’histoire. D’abord avec le Quintette (1989) pour piano et quatre instruments à vent, puis avec Romancendres (2003) pour violoncelle et piano. Dans cette dernière partition, le traitement du piano se fait presque parallèle à celui du violoncelle, comme si le piano était un violoncelle masqué, et le violoncelle un piano masqué.

Partita (1999) marque donc votre retour au piano seul, 38 ans après Elis…

Cette Partita est un cas un peu particulier. L’œuvre se veut symbolique de l’instrument lui-mĂŞme, tout comme en faisant rĂ©fĂ©rence Ă  la personne d’András Schiff pour qui je l’ai composĂ©e. De nombreux dĂ©tails de sa vie s’y retrouvent et y jouent un rĂ´le : son rĂ©pertoire, sa biographie, ses dates de naissance, son nom… Partant de lĂ , j’ai voulu Ă©crire un piano qui serait dĂ©duit de toute la technique mise en Ĺ“uvre dans le rĂ©pertoire qu’il dĂ©fend.

Tout commence donc par un PrĂ©lude — un PrĂ©lude non mesurĂ©, dans le style de Rameau, ou dans l’esprit d’un claveciniste qui se chaufferait en improvisant autour de la partita Ă  venir. Comme dans ma plus rĂ©cente partition Janus, double concerto pour violon, alto et orchestre de chambre (2011-2012), il y a lĂ  un double jeu : le piano joue une musique stylistiquement très proche de ce que j’écrivais lorsque j’étais sous l’influence de compositeurs tels que Boulez ou Carter. Derrière cette musique extrĂŞmement dissonante, on a le sentiment d’un choral consonnant qui s’élève — musique fantĂ´me d’un chĹ“ur dans le lointain, créée par une musique toute autre que celle qui se dĂ©ploie au premier plan, et qui n’a rien Ă  voir avec elle : l’histoire suspendue comme un fantĂ´me derrière la figure du pianiste, une voix intĂ©rieure dans le sens de Schumann.

Vient ensuite une très grande Fugue : une fugue Ă  trois voix, oĂą l’on retrouve un peu de Bach, mais qui sonne comme une fugue Ă  seize voix au moins — comme les dĂ©bris d’une fugue Ă©clatĂ©e. J’ai voulu forcer le piano Ă  une polyphonie hors du contexte de la digitalitĂ© pianistique. LĂ  encore, c’est une musique Ă  double face : deux couches temporelles sont souvent dĂ©volues Ă  une seule main — deux doigts jouent des quintolets, les trois autres des triolets… C’est Ă  la limite du pensable, tout en rappelant aussi ce qu’ont fait Busoni ou Liszt avec la musique de Bach. Cette fugue nous mène Ă  nouveau sur des gestes brusques, lesquels laissent derrière eux un sillage rĂ©sonnant, cette fois complètement chromatique et dissonant. Le Barcarole est naturellement une rĂ©fĂ©rence au nom de « Schiff Â», la barque. Je m’y suis un peu inspirĂ© de la Lugubre Gondola et des Odes funèbres de Liszt — avec, au milieu, une citation du Bateau Ivre de Rimbaud. C’est aussi une plaisanterie, car András Schiff n’aime pas beaucoup Liszt — que pour ma part j’adore.

On poursuit d’ailleurs l’allusion avec le Petit Czardás obstinĂ© (titre repris d’une pièce de Liszt), une pièce « sur les touches Â». Ce mouvement se rapproche davantage des Études de Ligeti qui, au reste, a eu le mĂŞme professeur hongrois que moi, Sándor Veress. Le tout se dĂ©veloppe sur une basse obstinĂ©e de 49x7 notes, un peu comme dans le jazz. Le Czardás contient les cinq notes qui restent, celles qui n’apparaissent pas dans l’ostinato. On retrouve lĂ  encore une dualitĂ©, avec deux musiques simultanĂ©es. En mĂŞme temps, je fais rĂ©fĂ©rence aux Six Czardás pour piano de Sándor Veress, qu’András Schiff a sibrillamment interprĂ©tĂ©s et enregistrĂ©s.

La dernière pièce est la plus longue, près de treize minutes : une Chaconne monorythmique, dans laquelle on retrouve les dates du dĂ©dicataire, qui lui donnent d’ailleurs une allure très hongroise. Je m’y suis en partie servi du système monorythmique de Lulu d’Alban Berg. J’ai aussi pensĂ© au commentaire de Busoni sur la Fugue en Do dièse mineur du premier livre du Clavecin Bien TempĂ©rĂ© de Bach : une cathĂ©drale gothique, haute et vaste. Une coda très calme vient conclure le mouvement, oĂą le piano se fait plus colorĂ©, debussyste. C’est le seul Ă©pisode vĂ©ritablement pianistique.

De part et d’autre du Czardás s’insèrent deux interludes, des Sphinxes, comme dans Carnaval de Schumann : on pĂ©nètre Ă  l’intĂ©rieur du piano, ou plutĂ´t Ă  l’intĂ©rieur de la tĂŞte du piano : si le piano Ă©tait un corps, ce serait son encĂ©phalogramme. Ces deux Sphinxes se jouent Ă  l’intĂ©rieur de l’instrument. C’est une introspection de l’instrument lui-mĂŞme, que l’on est libre de jouer ou non. Une musique fantĂ´me, lĂ  encore.

Vous revisitez donc l’histoire du piano ?

En partie, par le biais de la personne du dĂ©dicataire, de sa biographie et de ses goĂ»ts — c’est un jeu avec lui. J’écris souvent des « biographies Â» : mon Concerto pour violon est une biographie de Louis Soutter, Beiseit, une biographie de Robert Walser, et les cinq personnages de mon opĂ©ra Blanche Neige sortent Ă©galement de la tĂŞte de Walser.

Votre Partita cĂ´toiera deux Ĺ“uvres de Schumann : les Scènes d’enfant et Kreisleriana. Que vous Ă©voque ce voisinage ?

La combinaison avec Kreisleriana apparaĂ®t Ă©galement sur le disque ECM d’Alexander Lonquich. Mais on pourrait aussi la coupler avec des Ĺ“uvres de Liszt ou Carnaval de Schumann. Schumann est quelqu’un Ă  qui on ne peut pas Ă©chapper. J’ai d’autres idoles, mais Schumann est une inspiration continuelle depuis l’âge de quatorze ans. C’est mĂŞme de plus en plus intense ! C’est chez lui que je trouve mes idĂ©es musicales.

Lorsque j’ai commencé à diriger d’autres œuvres que les miennes, je me suis concentré sur les compositeurs qui me sont très chers ou très proches, pensant que je ferais mieux de me frotter d’abord à des œuvres que je comprends et qui souffrent parfois du traitement que leur infligent certains chefs. Schumann, qui était poète lui aussi, fut l’un des premiers. Je suis aujourd’hui en train d’enregistrer une quasi intégrale de ses pièces orchestrales et concertantes avec l’orchestre symphonique de la WDR Cologne.

Son instabilitĂ© Ă©motionnelle, qui transparaĂ®t dans son Ĺ“uvre, vous touche-t-elle ?

Je trouve Schumann, tout comme Hölderlin lorsqu’il Ă©crit sous le nom de Scardanelli, beaucoup plus ouvert sur le monde qui l’entoure : ils ont des antennes bien plus fines que d’autres. Cela me fascine. D’ailleurs, Schumann n’était très probablement pas fou. ProfondĂ©ment dĂ©pressif, certes, mais ce n’est pas si rare, et nombreuses sont les très grandes musiques dĂ©pressives. Pour Schumann, plusieurs hypothèses ont Ă©tĂ© Ă©mises sur son enfermement en clinique. Une clinique dont personne n’est d’ailleurs jamais sorti vivant (le directeur se concentrait sur une riche patientèle, qu’il traitait jusqu’à la mort) et oĂą Clara l’a fait enfermer — Clara Ă  laquelle on n’a jamais interdit les visites, c’est elle qui ne voulait pas le voir. Kai Uwe Peters, psychologue Ă  l’hĂ´pital de Cologne, a analysĂ© dans ses livres provocateurs chaque jour de la vie de Schumann Ă  la clinique, et n’a trouvĂ© aucun signe de schizophrĂ©nie dans son comportement, et bien moins encore dans ses lettres. Peut-ĂŞtre avait-il un dĂ©lire alcoolique. Le fait est que, Ă  l’époque, ces maladies Ă©taient encore très mĂ©connues.



Propos recueillis par Jérémie Szpirglas, Récital Jean-Frédéric Neuburger, 1 juin 2013, festival ManiFeste, Ircam.

captations

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Partita

Composé par Heinz Holliger , concert du 1 juin 2013

Ceci est un extrait. La version complète est disponible à la médiathèque de l'IRCAM.

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Partita

Composé par Heinz Holliger , concert du 30 juin 2013

Ceci est un extrait. La version complète est disponible à la médiathèque de l'IRCAM.


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